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Pour que la FIFA sans Blatter ne reste pas la FIFA de Blatter

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Quand un dénouement se produit très tard, au moment où plus personne ne l'attend, il se produit souvent très vite. S'il y a une surprise à voir Sepp Blatter contraint, en quelques jours, à une démission précipitée, ce n'est donc pas que cette chute ressemble tant à celle de beaucoup d'autres autocrates. Le vrai motif de perplexité devrait plutôt porter sur l'insupportable longévité d'un homme qui venait tout juste, revenant sur ses précédentes promesses, de briguer et d'obtenir un cinquième mandat.

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 JUSQU'AU DERNIER DEGRÉ DU DISCRÉDIT

C'est justement afin de conserver une chance que l'avenir de la FIFA ne ressemble pas à son présent qu'il faut se demander comment un dirigeant aussi profondément compromis dans une avalanche d'affaires ayant suscité le discrédit mondial de toute son organisation a pu être réélu le surlendemain d'une descente de police qui faisait figure de coup de grâce. Sans même aborder les causes de cette sorte de suicide collectif, un constat s'impose : les électeurs de Sepp Blatter, comblés de toutes sortes de largesses, ne défendaient plus que leurs intérêts, jusqu'à nuire à ceux de la FIFA elle-même.

Pour parvenir à ce résultat, il fallait un système qui, bien que supervisant la pratique sportive et les compétitions de centaines de millions d'individus, soit complètement verrouillé de l'intérieur et n'ait de compte à rendre à personne. Pas besoin, à la rigueur, de cimenter cet édifice avec de la corruption : la seule distribution des privilèges et de la manne financière y suffisent (lire "Le roi Blatter").

Les votes de vendredi dernier illustrent ce fonctionnement, fondé sur les échanges de services et les renvois d'ascenseurs. À commencer par celui, désolant, du président de la Fédération française. Noël Le Graët, plutôt que d'afficher un minimum de dignité, a préféré montrer sa reconnaissance pour l'obtention de la Coupe du monde féminine de 2019. Quels comptes lui et ses semblables ont-ils à rendre à leurs licenciés et à leur tutelle publique ?

L'EMPIRE DES ORGANISATIONS SPORTIVES

Bien sûr, les ascenseurs étaient parfois chargés de billets. Pour le caractère épique de l'histoire, il est amusant que Chuck Blazer et Jack Warner aient joué un rôle central dans l'écroulement final. Leurs personnages feront le bonheur des scénaristes d'une future adaptation au cinéma – un tout autre film que United Passions, boursouflure involontairement comique, fiasco mondial produit par la FIFA à sa gloire et à celle de son chef.

Mais si le système survit à son ex-président, rien ne changera vraiment. Les promesses de transparence, les engagements solennels ne serviront qu'à une opération de toilettage de l'institution sans réelle suite.

Il reste en effet à mener le procès des organisations sportives internationales, que l'industrialisation du sport a conduit à gérer des sommes phénoménales sans rapport avec leurs missions initiales – on évalue les réserves de la FIFA, association sans but lucratif, à un milliard de dollars. Mener également le procès de l'impunité et de l'opacité qu'elles ont organisées à leur profit, grâce à des régimes d'extraterritorialité. Le procès de la vision coloniale et cupide et du sport qu'elles imposent au travers de l'organisation des grands événements sportifs (lire "La Coupe du monde a besoin d'être sauvée"). Celui, aussi, de la remarquable apathie du monde du football, qui autorise et protège de telles dérives.

COMPLICITÉS PASSIVES

La tempête médiatique mondiale va occulter la complaisance dont la majorité des médias spécialisés a fait preuve à l'égard de la FIFA, malgré l'accumulation des évidences. Au sempiternel motif que "Ça n'intéresse pas les gens", ou à celui moins avouable que ce serait dévaluer le produit, ils ont choisi de se désintéresser du dossier, laissant de rares journalistes comme le britannique Andrew Jennings s'attaquer à l'empire, préférant, à l'occasion, tendre des micros bienveillants à ses caciques.

Les conditions imposées au Brésil organisateur de la Coupe du monde 2014, l'absurdité du choix du Qatar pour l'édition 2022, le décompte macabre des morts sur ses chantiers ont par exemple été déplorés. Mais sans engager de véritable mobilisation, comme si toute velléité réellement critique, "politique", était prohibée, comme si médias et journalistes n'avaient aucune responsabilité envers "leur" sport et ses valeurs présumées.

Cette impuissance choisie est aussi celle des sponsors qui, trop inquiets de perdre leur place, n'ont que très tardivement "fait pression" (après avoir subi celle des ONG), confirmant le caractère complètement déclaratif de l'éthique qu'ils portent pourtant en bandoulière. Le constat d'inaction vaut encore plus pour les pouvoirs publics, qui trouvent probablement trop leur compte dans les gratifications que le football leur procure, et dans l'anesthésie des foules qu'il assure.

PLATINI, POUR QUOI ?

Il aura fallu des actions policières et judiciaires menées depuis les États-Unis et de l'intérieur en Suisse – c'est-à-dire sous le nez de l'Union européenne – pour que le système soit finalement porté à son point d'explosion. Encore faut-il espérer que ces enquêtes révèlent tout ce qui peut l'être et aboutissent à des sanctions proportionnées, ce qui fait du chemin, car ce départ qui cristallise l'attention ne suffira évidemment pas à métamorphoser la FIFA.

En France, on assiste déjà à la promotion inconditionnelle d'une éventuelle candidature de Michel Platini. Ce réflexe chauviniste est encore plus déplacé aujourd'hui, alors qu'il faut exprimer les plus grandes exigences quant à la gouvernance de la FIFA. Mais journalistes amis, dirigeants des institutions sportives et responsables politiques expriment leur soutien fervent sans une once de réflexion quant au contenu de cette candidature.

Sans présumer de la campagne et des candidats, le futur président devra être élu par même corps électoral, sous le même régime clientéliste, et il y a peu de chances de le voir mener autre chose qu'une réforme de façade, suffisante pour ramener tout le monde à son inertie antérieure, et sauver l'institution. Même s'il faut espérer qu'une contestation virulente émerge d'en bas, c'est-à-dire des amateurs de football, les conditions d'une telle transformation ne sont pas réunies à ce jour. Au-delà de la nécessité d'instaurer des procédures de contrôle d'une extrême rigueur et de restaurer un fonctionnement démocratique, on pourrait se demander si la vocation de la FIFA doit être la quête effrénée de revenus et de profits. La question n'interpelle pas grand monde. Peut-être parce qu'y répondre par la négative entamerait une petite révolution.


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